par Frédéric Lemaire,
Julien Salingue, le 25 juillet 2011
Le
visage du principal suspect des tueries d’Oslo a fait le tour du
monde : il s’agirait d’un « fondamentaliste chrétien », ancien militant
d’un parti d’extrême-droite, qui revendique son hostilité aux immigrés
et aux musulmans. Depuis deux jours, les médias tentent laborieusement
d’expliquer – sans disposer d’informations suffisantes – ce qui aurait
pu conduire ce norvégien à se livrer à la violence extrême...
Et pourtant, dans les heures qui ont suivi l’annonce du carnage, des
commentateurs de certains de ces mêmes médias disposaient, à défaut
d’informations précises, de tous les arguments qui permettaient
d’analyser les motivations du coupable désigné : le « terrorisme
islamiste ». Un nouvel exemple de la langue automatique
du journalisme et des préconceptions qui conduisent nombre de médias et
de « spécialistes » - qui ne savent rien - à croire et à tenter de
faire croire qu’ils savent. Le « terrorisme islamique » n’est pas le
seul bénéficiaire de ce journalisme astrologique, mais en cas
d’attentat…
Des « hypothèses » ou une certitude ? « Pas de revendication, mais trois pistes principales », avance prudemment
Libération dans un article publié dans l’édition papier du 23 juillet [1]. Les fins limiers du quotidien ont cependant une opinion bien arrêtée, comme en témoigne le (court) chapeau de l’article [2] :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Trois pistes » ou une seule ? Lisons…
« La première, celle de
l’acte d’un déséquilibré, paraît peu probable, les attaques
apparaissant coordonnées. Autre hypothèse : un groupe d’extrême droite,
la Norvège abritant des groupes néo-nazis. Reste enfin la piste d’un ou
de plusieurs groupes jihadistes ».
Et l’intégralité de l’article de
Libération d’explorer la… troisième hypothèse, évidemment :
« Selon la PST [police norvégienne],
plusieurs
résidents norvégiens se sont rendus ces dernières années dans des camps
d’entraînement jihadistes en Afghanistan, au Pakistan, en Somalie et au
Yémen. […]
La Norvège abrite également quelques jihadistes notoires. […]
Les
dirigeants d’Al-Qaeda s’en sont régulièrement pris ces dernières années
à la Norvège pour son implication dans la guerre en Afghanistan ». Etc.
Le lecteur de la version papier de
Libération, qui a
découvert cet article visionnaire le samedi 23 au matin, alors que la
police norvégienne avait révélé l’identité du principal suspect, a sans
doute regretté que les deux premières « hypothèses » n’aient pas été
davantage explorées.
A fortiori lorsque l’on sait désormais que
l’individu entendait dénoncer, dans un manifeste publié le jour du
carnage et rendu public dimanche soir,
« la colonisation islamique et l’islamisation de l’Europe occidentale ».
Le Parisien, dans son édition du 23 juillet, a eu recours à un procédé similaire. Dans un article titré
« Des attaques concertées, un suspect arrêté », on apprend en effet que
« de la piste intérieure à celle des terroristes islamistes, toutes les hypothèses restaient envisageables [vendredi soir]
». La quasi-intégralité de l’article est néanmoins consacrée à la
« piste islamiste », seule « piste » à bénéficier d’un intertitre :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Dès le 22 juillet, un peu après 16h, les auditeurs de France Info
avaient eux aussi entendu parler d’ « hypothèses ». Ou plutôt d’une
hypothèse. Grégory Tervel, correspondant de Radio France en Norvège,
répondait aux questions d’Alain Pagès, en studio à Paris :
-
« Il y avait eu des menaces particulières à l’égard du gouvernement ? » -
« Pas particulièrement mais la Norvège sait qu’elle est
potentiellement visée depuis ces dernières années, depuis que d’autres
capitales européennes ont été frappées par des attentats terroristes.
La Norvège est présente militairement en Afghanistan, la Norvège
participe aux frappes aériennes en Libye, ces derniers mois, la Norvège
est membre de l’OTAN, donc les services de renseignement, de sécurité
intérieure, savent très bien et travaillent sur cette hypothèse en tout
cas depuis plusieurs années, l’hypothèse de voir un jour la Norvège
victime, cible d’attentats terroristes ».Rendons justice à France Info : les mots « islamistes »,
« jihadistes » et « Al Qaida » n’ont pas été prononcés. Mais était-ce
bien nécessaire ?
Libération,
Le Parisien et France Info ne sont
évidemment pas les seuls médias à avoir tenté de devancer les
enquêteurs pour désigner les coupables de la tuerie d’Oslo. Reprenant
une dépêche Reuters, nombre de sites internet (rtl.fr, nouvelobs.com,
20minutes.fr, l’express.fr, ouest-france.fr, lemonde.fr, etc) ont
republié « automatiquement », sans commentaires ni vérification, les
thèses et avis éclairés d’ « experts » en terrorisme [3]. La parole aux experts de Reuters :
-
« La Norvège, membre de l’Otan, a été plusieurs fois menacée
par le passé par des dirigeants d’Al Qaïda pour son implication dans la
guerre en Afghanistan, où elle participe à la Force internationale
d’assistance à la sécurité ». -
« Selon David Lea, analyste du cabinet Control Risks, "il
n’existe toutefois aucun groupe terroriste norvégien même s’il y a de
temps en temps des arrestations de personnes liées à Al Qaïda"
».-
« La double attaque de vendredi en Norvège survient par
ailleurs un peu plus d’un an après l’arrestation de trois hommes
soupçonnés d’être liés à Al Qaïda et de planifier des attentats dans le
pays scandinave » [4].
Enfin, toujours le 22 juillet, le blog Bigbrowser, animé par les
journalistes du monde.fr, complète utilement la dépêche Reuters. Un
article sobrement intitulé
« Al-Qaida en veut-elle à la Norvège ? » évoque ainsi,
« la
publication au sein d’un journal norvégien, en 2006, d’une série de
caricatures danoises représentant le prophète Mahomet, qui avait
provoqué une levée de boucliers et des menaces à peines voilées de pays
et groupes djihadistes musulmans » et
« la décision, la semaine
dernière, d’un procureur norvégien de poursuivre un religieux irakien
qui avait menacé de tuer des politiciens norvégiens s’il était expulsé
de Norvège. »Avant d’enfoncer le clou :
« L’an dernier, un rapport des
services secrets norvégiens faisait état d’un risque accru d’une
attaque terroriste à l’encontre du pays, notamment du fait de citoyens
norvégiens entraînés dans des groupes affiliés à Al-Qaida, au Pakistan,
au Yémen, en Afghanistan et en Somalie. »Un faisceau d’indices qui ne se fondent sur aucune information sur
les tueries elles-mêmes mais qui, chacun l’avouera, et ce malgré les
précautions stylistiques (le titre sous la forme interrogative),
désignent clairement un coupable. La manœuvre est-elle intentionnelle ?
Rien n’est moins sûr : les automatismes suffisent ! Mais le résultat
est là [5].
Un coupable logique ou un coupable idéal ? Certains auraient été
bien inspirés de se souvenir du récent rapport d’Europol sur le
terrorisme en Europe, qui révélait, comme l’avait alors souligné
L’Express (entre autres), ceci :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Notons que
Le Monde « papier », quotidien vespéral, a eu le temps, contrairement à
Libération et au
Parisien, de rectifier le tir. Il demeure néanmoins
« incrédule » quant à l’annonce de la responsabilité d’un « extrémiste chrétien ».
Le Monde disposait en effet d’éléments de premier choix dans la course médiatique à l’inculpation d’Al Qaida :
« Tous les ingrédients étaient donc réunis.
On rappelait même qu’au lendemain de la mort d’Oussama Ben Laden, Ayman
Al-Zawahiri avait entre autres cité la Norvège comme cible potentielle » peut-on lire dans l’article intitulé
« Du soupçon islamiste à l’incrédulité de la piste d’un extrémiste norvégien ».
Et d’ajouter ce scoop
« Le responsable d’Al-Qaida pourrait par
ailleurs avoir des raisons personnelles d’en vouloir à la Norvège, car
selon lui, des hommes des forces spéciales norvégiennes auraient
participé à une opération ayant causé la mort de l’une de ses épouses
et de l’un de ses fils. »Le Monde reprend par ailleurs certains autres éléments issus
de la dépêche Reuters, citée plus haut, avant de reconnaître une
incitation supplémentaire à la prudence, mais étonnamment passée sous
silence la veille, au sujet de la fusillade : «
le procédé n’a plus rien de commun avec le mode opératoire traditionnel des commandos djihadistes », et d’évoquer l’arrestation du suspect norvégien. On respire presque.
Des certitudes qui se suffisent à elles-mêmesLes astro-journalistes les plus inspirés ne se sont pas contentés
d’émettre des hypothèses. Convaincus de la justesse de leur pensée
automatique, ils nous ont démontré, preuves à l’appui, que l’identité
des responsables des massacres était avérée.
Il y a eu la version hypocrite, proposée par Jean Guisnel, du
Télégramme, dans un article publié le 23 juillet et intitulé
« Attentat d’Oslo : une logistique éclairante ». « Des attaques sans préavis touchant des civils dans une grande
capitale, au moment où personne ne les attend, dans un contexte
relativement calme, contre un pays que rien ne désigne, visant des
cibles non préparées, conduites simultanément de manière coordonnée. […]
Il
n’est guère besoin d’être un grand expert pour comprendre que les
recettes appliquées par la mouvance terroriste internationale se
réclamant d’une vision sectaire du sunnisme, incarnée par le défunt
Oussama ben Laden, ont été mises en oeuvre, hier, à Oslo ». Avant de se réfugier derrière une précaution stylistique :
« Par qui ? C’est une bonne question. À ce stade, il est beaucoup trop tôt pour avancer quelque hypothèse précise que ce soit ».
Il n’est guère besoin d’être grand expert pour comprendre que Jean
Guisnel nous offre une alternative qui n’en est pas une : soit les
attaques sont l’œuvre d’Al Qaida, soit elles sont l’œuvre de personnes
s’inspirant d’Al Qaida. Toute autre hypothèse est exclue.
Le journaliste du Télégramme sait-il que Ben Laden et ses affidés
n’ont pas le monopole du terrorisme ? A-t-il entendu parler des
attentats d’Oklahoma City ou des tueries perpétrées dans les
établissements scolaires états-uniens ? Probablement. Mais l’expert
improvisé ne s’encombre pas de ce genre de détail, et n’a aucun doute :
les attentats d’Oslo sont signés. Malheureusement pour lui, son
article, qui a atterri dans les kiosques alors que l’identité du
principal suspect était dévoilée, l’était aussi.
Mais c’est probablement Vincent Hervouët,
« responsable au service Étranger de TF1-LCI »,
qui nous a offert le plus bel exposé de certitudes certaines et de
vérités vraies lors d’un commentaire, à chaud, sur LCI. À l’heure où
nous écrivons, la vidéo de cette lumineuse analyse est toujours en
ligne, ornée de ce titre menaçant :
« Attentat à Oslo : tout pays européen est désormais une cible » [6].
Elle aurait mérité d’être intégralement retranscrite, mais nous nous
contenterons, pour ne pas accabler le lecteur, de quelques extraits :
Il y a quand même eu une alerte qui a réveillé le pays, il y a
quinze jours précisément de cela, avec l’arrestation de trois hommes,
un véritable commando. Ils appartenaient à Al Qaida, le commando était
dirigé par un ouïghour, qui a la nationalité norvégienne, c’est-à-dire
un membre de cette minorité musulmane chinoise, qui est persécutée
là-bas, et il aurait été formé au Pakistan, dans un camp
d’entraînement, à l’action violente, et il vivait depuis 12 ans à Oslo.
Les deux autres étaient un kurde irakien, qui est arrivé lui aussi à la
fin des années 90 à Oslo, et qui avait un statut de résident et de
réfugié politique, de réfugié humanitaire, et puis le troisième était
un ouzbek, alors ça c’est l’islam d’Asie centrale, et lui aussi était
réfugié à Oslo, au titre du regroupement familial, il avait obtenu un
permis de résident.
Voilà qui est fort intéressant et fort pédagogique, mais le
téléspectateur, à ce stade, cherche probablement le rapport avec la
tuerie d’Oslo. Et ce n’est pas la suite qui va l’aider. Car ça se
complique :
Donc les trois hommes ont été arrêtés, ils étaient en lien avec des,
une opération terroriste. Laquelle ? Et bien, d’après les autorités,
avec ceux qui ont comploté contre le métro de New York, c’était il y a
à peu près deux ans, et il y avait eu des islamistes qui avaient été
arrêtés à Manchester, et la police américaine vient justement de faire
inculper des membres d’Al Qaida qui vivent au Pakistan, pour ce projet
d’attentat. Voilà ce qu’ont dit les autorités […]
Vous ne comprenez pas ? Nous non plus. Mais Vincent Hervouët se
comprend et s’en prend ensuite aux autorités norvégiennes qui n’avaient
visiblement, elles non plus, pas compris :
Ce qui est très frappant, c’est de voir que le discours des
autorités, il y a quinze jours, se voulait, rassurant. C’était une
affaire sans précédent en Norvège, mais en même temps la police disait
que les hommes avaient toujours été sous contrôle, depuis six mois,
qu’ils étaient surveillés nuit et jour […]. On n’a pas parlé d’attentat
local, on a parlé de membres de cette internationale terroriste […]. Or
la réalité est sensiblement différente du discours des autorités.
Pourquoi ? Parce qu’on a trouvé dans la cave du kurde irakien, on a
trouvé un explosif, à la fois très puissant, c’est une sorte de
nitroglycérine, mais surtout très instable. Ça veut dire que ce n’est
pas un explosif que l’on déplace sur de longues distances, c’est donc
un attentat à domicile, un attentat domestique, un attentat en Norvège,
à Oslo, qui était programmé, prévu, envisagé, par des gens qui avaient
stocké de quoi faire ce massacre […].
Une enquête rondement menée par l’inspecteur Hervouët. Qui poursuit :
Les autorités ont semblé noyer un peu le poisson, et leurs arguments
ne tiennent pas. Qu’est-ce qu’ils disaient pour rassurer le norvégien
[sic], et bien ils ont dit, notamment un des responsables du
contre-terrorisme, que jusqu’à présent, il y avait des jihadistes
effectivement en Norvège, qui avaient trouvé refuge dans le royaume,
mais que le royaume servait de base arrière, n’était pas directement
visé. Et ça ce sont des propos qui sont à la fois d’un grand cynisme et
d’une très grande naïveté, d’une grande innocence parce que tout pays
européen est désormais une cible […].
Hervouët peut alors, au terme de cette limpide démonstration, asséner le coup de grâce :
Les Norvégiens ont de bonnes raisons d’être frappés par Al Qaida. Il
y en a plusieurs. Il y a effectivement l’engagement au sein de l’Isaf,
depuis 10 ans, qui se bat en Afghanistan. Il y a le fait que c’était un
ouïghour donc on pouvait penser que la cible pouvait être chinoise
[re-sic]. On pouvait penser aussi que la cible était les plates-formes
pétrolières de ce commando parce que l’un des trois hommes avait essayé
à deux reprises d’intégrer une école de formation pour aller travailler
sur les plates-formes offshore [re-re-sic], et puis il y a les
caricatures de Mahomet qui ont été publiées évidemment dans la presse
d’à côté mais qui ont été aussi éditées à Oslo, la presse norvégienne a
reproduit les caricatures publiées par les journaux, par l’hebdomadaire
danois, ce qui suffit à enrager les jihadistes locaux, enfin il y a un
chef islamiste qui a été expulsé, qui est en instance d’expulsion vers
l’Irak, ce qui peut provoquer la colère de ses coreligionnaires, et
puis enfin il y a le fait qu’en Norvège comme dans tous les pays
européens, il y a une radicalisation des islamistes les plus durs, les
plus engagés, et ça les services officiels le remarquaient, le
relevaient, s’en inquiétaient, mais pour l’heure on ne pensait pas
qu’ils pourraient passer à l’acte […].
CQFD. Chacun comprend désormais, à défaut d’entendre quoi que ce
soit à la « démonstration » d’Hervouët, pourquoi il s’est vu attribuer,
par le Comité de l’Association de la Presse Étrangère (APE), le
« Grand Prix de la Presse Internationale 2010 (catégorie télévision) »en décembre dernier. On attend avec impatience sa prochaine analyse, au
cours de laquelle ce rival d’Alexandre Adler nous expliquera, avec
autant de clarté et de certitudes, pourquoi Al Qaida ne pouvait
évidemment pas être responsable de la tragédie d’Oslo.
***
S’il ne s’agissait, en l’occurrence, que d’un droit à l’erreur, nous
le reconnaîtrions volontiers, en attendant sans impatience et sans trop
y croire que les organes d’information et les journalistes qui se sont
distingués par leur trop grande hâte à désigner les coupables
« naturels » des tueries d’Oslo fassent amende honorable. Mais peut-on
encore parler d’erreur quand elle est un produit du journalisme
d’anticipation qui prétend savoir avant de savoir, dont les prédictions
peuvent s’avérer fondées, mais que les astres égarent si souvent ?
Souvenons-nous notamment de ce que nous avions relevé, sur ce site,
lors des attentats de Madrid, en mars 2004, avec par exemple ce titre du Monde :
« Un retour sanglant d’ETA sur la scène politique espagnole à trois jours des élections législatives », ou cette chronique de RFI qui s’achevait par une irrévocable sentence :
« Par
conséquent, ajoutent enfin les enquêteurs, seule l’ETA dispose
aujourd’hui en Espagne des moyens logistiques nécessaires à la mise en
œuvre de cette terreur généralisée. » Sans même parler de l’affaire du RER D,
cas typique de ce journalisme tellement plein de certitudes qu’il ne
s’encombre guère de vérifier l’information si elle répond à des clichés
en vogue.
Dans l’affaire du carnage d’Oslo, c’est « évidemment » le
« terrorisme islamique » qui a été montré du doigt. Une « évidence »
telle que, quand bien même il était avéré que le principal suspect se
singularisait davantage par sa haine de l’islam que par une quelconque
aspiration au « Jihad », certains ont trouvé le moyen de retomber sur
leurs pieds, au prix de contorsions… déconcertantes. Ainsi, ce
reportage du 13h de TF1, le 23 juillet, dans lequel on apprend ceci :
« La simultanéité [des attaques]
rappelle le mode opératoire d’organisations terroristes structurées comme Al Qaida.
Une piste vite abandonnée parce que le suspect arrêté est norvégien, un
fondamentaliste chrétien d’après la police. La Norvège, connue pour
décerner son Prix Nobel de la paix, est comme les autres pays
scandinaves, aujourd’hui traversés par de nouveaux débats, parfois
religieux. Exemple, en 2006, un éditeur norvégien avait republié les
caricatures de Mahomet, déclenchant l’émoi de la communauté musulmane.
En 2010, un tribunal administratif avait été saisi à propos du port du
voile dans la police ». Les exemples de « nouveaux débats » sont… éloquents. Un
« spécialiste de la Norvège » est alors convoqué :
« On oublie beaucoup que les pays nordiques sont des terres d’accueil aujourd’hui très importantes, que la population immigrée est finalement très importante en pourcentage de la population et que cela conduit à des tensions et à une polarisation auxquelles ces sociétés n’étaient pas jusqu’ici familiarisées ».Et le journaliste de reprendre :
« Ces tensions font le terreau de l’extrême-droite et des intégrismes religieux chrétiens ou musulmans ».
CQFD (bis) : le suspect n’est peut-être pas musulman, mais son mode
opératoire « rappelle » celui d’Al Qaida et son acte s’inscrit dans un
contexte de tensions générées par la « population immigrée », notamment
musulmane. De là à considérer que les musulmans, à défaut d’être
coupables des tueries d’Oslo, en sont responsables… TF1, ou le summum
de la « pensée automatique » : s’obstiner dans les pseudos-évidences
alors qu’elles ont été démenties par la réalité [7].
À moins que TF1 ait décidé, sinon d’excuser, du moins de tenter de
comprendre et d’expliquer, à sa façon, le carnage du 22 juillet et les
motivations jusqu’alors inconnues du principal suspect. En aurait-il
été de même si le coupable avéré avait été le coupable désigné – le
« terrorisme islamiste » ? Rien n’est moins sûr.
Julien Salingue et Frédéric Lemaire
Bonus : un dessin aussi désopilant que visionnaire (publié sur yahoo.fr).
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Notes[1] Un article dont la prouesse analytique a également été relevée par « Arrêts sur image » et moquée par Sébastien Fontenelle sur son blog.
[2] Repris ici sur le site du quotidien, mais identique à celui de la version papier.
[3] Egalement relevé par « Arrêts sur images ».
[4]
Notons ici que la presse française n’est pas unique en son genre. Un
correspondant en Belgique nous a signalé un article, publié dans le
quotidien
le Soir daté des 23-24 juillet, qui ressemble à s’y méprendre aux exemples que nous venons de citer. Extraits :
« Alors
que le mystère demeurait total quant aux motifs et aux commanditaires
de l’attentat à la bombe, les spéculations vont bon train. L’hypothèse
d’un acte terroriste commis par des fondamentalistes musulmans est la
plus souvent citée. "Il est difficile d’imaginer qu’il s’agisse d’autre chose
, estime un expert en affaires de terrorisme, Tore Bjørgo, interrogé par la radio-télévision NRK. "De plus, la cible est le symbole le plus fort du pouvoir politique norvégien".
La
participation de la Norvège à la guerre en Afghanistan, depuis 2001 aux
côtés des Etats-Unis, avait valu des menaces à ce fidèle allié des
Américains. Ayman al-Zawahiri, décrit comme le nº 2 d’Al-Qaïda, s’en
était pris nommément à Oslo à la fin de 2007. Les avions de l’armée
norvégienne participent aussi aux bombardements visant la Libye. Autre
motif potentiel, la publication en 2006 dans la presse norvégienne de
certaines des caricatures de Mahomet. Ces dernières, publiées l’année
précédente par un journal danois, avaient suscité de virulentes
réactions de la part de musulmans qui les jugeaient blasphématoires. »[5] Le même soir, ce bric-à-brac de justifications des thèses de l’« attaque d’Al Qaida » sera repris au JT de 20h de TF1.
Un sujet est dédié à l’évocation des potentiels auteurs des attentats.
Dans l’extrait, le journaliste rappelle que les enquêteurs en appellent
à la retenue et ne privilégient aucune piste. Ce n’est semble-t-il pas
le cas des journalistes, qui penchent très nettement du côté de la
« piste » Al Qaida.
[6] Sur le site « TF1 News ».
[7]
N’oublions pas France 2 et soulignons ici que Philippe Rochot, lors du
13h le même jour, a proposé un raisonnement du même type.
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